"J'aurai tant aimé apprendre à te connaître."
C'est à peine si je me souviens. J'étais gamine, même pas 5 ans. Je me rappelle que j'étais en train de m'amuser à faire des pliages avec des feuilles. Je tentais vainement d'imiter l'origamie. Mais à vrai dire, ce que je faisais ressemblait plus à des essais d'armes extraterrestres sur papier qu'à des avions ou des oiseaux. Et alors que j'entamais une nouvelle création moderne des voix vinrent interrompre ma concentration. Je réussi à reconnaître celle de ma mère, Anne, ainsi que celle de mon frère aîné, Dàmon. Mais je n'arrivais pas à distinguer leurs paroles. C'est pourquoi je me suis rapprochée de la pièce où ils se trouvaient. Apparemment ils étaient dans le salon. Je ne pus comprendre que la fin de leur conversation mouvementée. "
Tu ne peux pas partir comme ça, Dàmon. Tu ne pourras pas te cacher éternellement." "
Qui ne tente rien n'a rien, et puis ... Mêle toi de tes affaires !" C'est là que je le vis me passer devant, un sac sur l'épaule. Il sortit et claqua la porte d'entrée. J'entendis ma mère soupirer puis s'effondrer sur la table. J'entrai alors et vins vers elle, mordillant timidement le bout de mon index. "
Maman, y va où grand-frère ?" Elle se cacha les yeux avec l'une de ses mains, mais je voyais bien qu'elle pleurait. "
Maman ? Hein dis-moi ?" Une de ses larmes s'écrasa sur la table. "
Maman ... Pourquoi tu pleures ?" Je lui pris sa main libre et la secouai. Je voulais savoir. Je ne comprenais pas. Je n'étais qu'une enfant. "
Maman ..." Un sanglot. "
Maman, pourquoi tu pleures ?!" Une gamine qui ne comprenait pas déjà à l'époque. Une gamine qui ne comprend toujours pas aujourd'hui.
"Un étranger c'est un ami qu'on n'a pas encore rencontré."
Je venais d'avoir huit ans depuis peu. En classe, on nous annonçait qu'un nouvel élève allait arriver et qu'il fallait qu'on se comporte bien et tout le tralala qui va avec. Si au début tout le monde était excité, quand ils annoncèrent qu'il était Anglais, les sourires ce sont vites effacés. Car au cas où vous ne seriez pas au courant, Anglais et Irlandais se font la guerre depuis belle lurette, un peu comme Anglais et Français. En même temps ce n'est pas de notre faute si les Anglais ne savent pas se faire des amis, si ? Mais passons. De mon côté, Anglais ou pas, je m'en fichais royalement. Je n'étais, et ne suis toujours pas, du genre à faire comme tout le monde et à m'affoler dès que quelque chose se passe. Quoi qu'il en soit le nouvel arrivé, un certain James Samuel Adams, fit son apparition au moment de la récréation. On aurait pu penser que tout le monde lui ficherait la paix sous prétexte du quart d'heure détente de l'après-midi, mais non chers amis. Il ne fut rien de tout cela. En effet, la bande de garçons de la classe se précipita vers sa nouvelle proie sous l'œil attentif des filles et aveugle des surveillants. De loin, j'avais pu remarquer qu'ils le cherchaient, le bousculant de plus en plus fort, tentant de le pousser à bout. Pourtant il restait calme, sans bouger, comme s'il attendait que ça se passe, sans rien dire, endurant, tout simplement. Las de voir ces débiles profonds s'acharner sur le blondinet - oui, oui, un Anglais blond, pour changer - je retroussai mes manches et m'en allai leur régler leur compte.
Arrivée vers eux, je me frayai un passage entre les benêts formant le troupeau à coup de regards noirs et de menaces de coups de poing s'ils ne bougeaient pas leurs fesses. C'est que j'étais déjà connue pour ma délicatesse naturelle en ces temps-là ! Je me suis finalement retrouvée aux côtés du blond et de Jack, le soi-disant chef de la tribu d'attardés. Croyez-moi, j'ai bien tenté de parlementer et de jouer les diplomates. Mais vous connaissez les garçons, à cet âge ils sont incapables de comprendre plus de trois mots à la suite. Alors j'ai frappé. Après tout, c'était le seul langage qu'ils connaissaient. Bon, j'avoue que j'y suis allée un peu fort. Mais ce n'est tout de même pas ma faute également si il a le nez fragile ! Si ? Pour faire court, je lui ai cassé le nez et il a atterrit aux urgences, James et moi devant le bureau du directeur de l'école, nos parents respectifs avec lui, décidant de notre sentence. Quant à nous deux, nous attendions devant la porte, chacun dans un fauteuil. Affalée dans le mien, j'avais croisé les bras sur ma poitrine et soupirais de temps en temps, me préparant mentalement à l'engueulade monumentale de ma mère. Il faut avouer que je n'étais pas une enfant très facile avant. Le blondinet ? Oh, lui il allait très bien ! Assis, droit et calme, il semblait parfaitement serein.
J'engageai finalement la conversation. "
C'est vraiment pas cool ..." Il me regarda du coin de l'œil. "
De ?" Je soupirai de nouveau. "
Le fait qu'ils comptent te punir aussi. C'est moi qui l'ai frappé, toi tu n'as rien fait ... C'est pas juste !" "
C'est pas faux, mais c'est à cause de moi ce qu'il est arrivé." "
Peut-être, mais je peux t'assurer que ce serait quand même arrivé, avec ou sans toi !" "
Comment ça ?" "
Je peux plus me le voir ... Lui et sa tronche de cake, j'aurais fini par lui coller ce pain dans la figure, un jour ou l'autre ..." Il se retint de rire. "
Faut dire que t'y est pas allée de main morte !" "
C'est lui qui est une chochotte !" Cette fois il se tourna carrément vers moi. "
Attends ! Tu lui as cassé le nez quand même !" "
Mouais ... De toute manière il était déjà tordu son nez, alors on va dire que j'ai essayé de le lui remettre en place mais que l'opération a mal tourné !" Cette fois il éclata de rire. "
Quoi ? Qu'est ce que j'ai dit ?!" Reprenant son souffle. "
Rien, c'est juste que ... Tu me fais rire !" "
Et bien comme dis ma mère, mieux vaut faire rire que faire pleurer, c'est meilleur pour la santé !" "
Je suis d'accord avec elle." Je lui souris, il fit de même. Je lui tendis la main. "
Je m'appelle Pandora." Il tendit la main et serra la mienne. "
James, mais je préfère que tu m'appelles Sam, je n'aime pas mon prénom." "
Bien, alors tu peux m'appeler Pan !" "
Enchanté Pan !" "
Moi de même cher ami !"
Depuis nous sommes les meilleurs amis du monde. Sans vouloir faire clicher.
"Tout allait pour le mieux dans un monde en décadence."
Il fallait que j'accélère. Pédalant toujours plus fort je tournai à droite, puis à gauche avant de débouler sur un petit chemin de campagne. Je connaissais la route par cœur. Au bout d'une dizaine de minutes j'arrivai enfin à destination. Un grand portail en fer un peu rouillé, et au bout du chemin qui le suivait, un grand manoir, celui des Adams. Je posai mon vélo contre la barrière qui entourait la propriété et entrai, poussant l'une des deux portes du portail, ce qui produisit un long grincement, pas des plus discrets d'ailleurs. Je me mis à courir vers l'impressionnante bâtisse. Arrivée à la porte d'entrée, je m'apprêtais à frapper lorsqu'elle s'ouvrit de l'intérieur. C'était la mère de Sam. "
Oh euh ... Bonjour Madame Adams ! Est-ce que Sam est là s'il vous plait ?" "
Pandora ! Bonjour à toi. Oui il est là, il doit être derrière le manoir, en train de s'entraîner. Mais vas-y, je crois qu'il a presque fini." "
D'accord, merci beaucoup. Au revoir !" Je lui fis un signe de la main et parti dans la direction indiquée. J'eus juste le temps de voir qu'elle me faisait signe également.
"
SAAAAAAAM !!!" J'étais tellement pressée que j'ai dérapé plusieurs fois, manquant de tomber. J'entendis un coup de feu. C'était lui. Il s'entraînait encore apparemment. Lorsque je fus enfin arrivée au stand de tir improvisé, je remarquai que son mentor était également là. Et oui, comme vous avez pu le comprendre, Sam était Hunter lui aussi. Tandis que le mentor en question me lança un regard peu accueillant, Sam se retourna et me sourit. "
Bah, Pan' ! Qu'est-ce que tu fais là ?" Je lui souris également, un peu essoufflée. "
On est en retard, il faut y aller." Il afficha un air sceptique. "
Hein ? Mais, le décollage est prévu pour dans une heure !" "
Je le sais bien ! Mais tu vois, malins comme ils sont et pour éviter qu'il y ai trop de monde - au cas où ils se ratent - ils l'ont avancé d'une heure ! Du coup on est en retard !" Toujours sceptique. "
Et comment tu l'as su ?" "
Pose pas de questions bêtes, on n'a pas le temps, faut y aller MAINTENANT !" A ce moment-là le mentor s'interposa en prétextant que son élève n'avait pas fini ses exercices. Prenant une grande inspiration je plantai mon regard dans le sien. J'étais déterminée, quitte à enlever Sam s'il le fallait, je le ferais. "
Écoutez-moi bien. Les cours et exercices, il pourra toujours les rattraper plus tard. Mais ce qu'on va voir, si ça se trouve, il ne le verra qu'une seule fois dans sa vie. Alors imaginez si vous lui faites perdre cette chance ? Toute sa vie, il regrettera de ne pas avoir vu ça, et même qu'il vous en voudra ! Vous en voudriez-vous, d'un élève qui vous déteste ? Moi personnellement, je n'apprécierais pas. Alors un bon conseil, laissez-le faire sa vie, vos exercices il les fera demain, ça, je ferais en sorte qu'il le fasse c'est promis" Il n'eut le temps de rien répliquer à cela, j'avais déjà embarqué Sam. Sur le chemin il prit son vélo. On sorti de la propriété, j'enfourchai le mien et on partit à toute allure. "
Pan' ?" "
Mmmh ?" "
Quand même, t'y est allée un peu fort ..." "
Roh, tu vas pas plaindre ton prof ?!" "
C'est pas ça ..." "
Alors c'est quoi ?" "
Ben ... Tu lui a promis que je ferais mes exercices demain." "
Et alors ?" "
Et alors ?! Demain c'était mon jour de repos !" Sur ces mots j'éclatai de rire. Et même s'il tentait de me faire la tête, il ne put se retenir de rire à son tour.
Au bout d'une demi-heure de vélo, nous sommes tous deux arrivés au bord des falaises. Le vent soufflait fort et le ciel était dégagé malgré quelques petits nuages par-ci par-là. Non loin de là, un groupe de personnes s'affairait autour d'un gros ballon à moitié gonflé. Une montgolfière. Je me souviens encore des grands sourires qu'on a affiché en les voyant faire. On était comme des gamins à qui l'on décrochait la lune. Mais attendez, on était bien des gamins à cette époque. Quoiqu'il en soit, nous avons tous deux posé nos vélos dans l'herbe et nous nous sommes mis à courir vers l'énorme ballon coloré.